Au début des années 2000, la France tirait près de 75 % de son électricité du nucléaire. Pilier de souveraineté énergétique et symbole d’excellence industrielle, ce modèle s’est peu à peu vu remis en cause, affaibli et dépossédé de son prestige. Quelles en sont les causes profondes ? Jimmy Lisnard-Panetier a creusé le sujet.
C’est en 1986, avec l’incident de la centrale nucléaire de Tchernobyl, que tout a commencé. L’Allemagne et l’Europe en général ont commencé à développer une peur profonde du nucléaire, alimentée par des partis écologistes qui vont gagner en puissance et en impact à la suite de cette catastrophe. Cependant, la vision entre la France et l’Allemagne est radicalement différente. Outre-Rhin, Tchernobyl devient un catalyseur de la politique anti-nucléaire, tandis que, dans l’Hexagone, il se transforme en moteur pour renforcer la sécurité des installations de ce type sur tout le territoire.
Si l’on compare l’évolution du nucléaire dans les deux pays, alors leaders du nucléaire européen, les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 1989, avant la réunification des deux Allemagnes, le nombre de centrales nucléaires sur les territoires combinés de la RDA et de la RFA s’élevait à 24. C’est le maximum historique du pays. En France, la même année, ce sont 54 réacteurs qui étaient soit en service, soit programmés pour l’être prochainement.
Quelques années plus tard, en 1995, après la réunification et la fermeture des centrales dans l’Allemagne de l’Est pour des raisons de sécurité, la production électrique du nucléaire représente à peine 30 % — contre 55 % environ pour le charbon.
Pressions politiques et écologiques
Sous la chancellerie de Gerhard Schröder, une coalition SPD-Verts a négocié avec les industriels une loi qui a inscrit dans le droit allemand la fin programmée du nucléaire. Adoptée en 2002, cette réforme de la loi atomique a fixé des quotas de production pour chaque centrale et interdit toute nouvelle construction, ouvrant la voie à l’arrêt progressif de toutes les centrales allemandes d’ici 2022.
Cette loi a servi de modèle politique influençant le débat énergétique en Europe, notamment sur la question du nucléaire face aux préoccupations écologiques.
Mais en France aussi, des voix se sont opposées farouchement au nucléaire, et notamment celle de Dominique Voynet. Ancienne ministre de l’Environnement, cofondatrice des Verts, elle représente depuis les années 1990 la voix la plus visible de l’opposition écologiste au nucléaire en France, critiquant par exemple l’EPR, dénonçant des coûts exorbitants et des risques jugés excessifs.
Pour ses détracteurs dans les milieux pronucléaires, elle incarne un frein historique au développement de la filière, au point d’avoir été parfois qualifiée — de manière polémique — de « fossoyeuse du nucléaire ».
Cette perception a ressurgi récemment, en 2025, lorsqu’elle a été nommée au Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), un organisme consultatif sur la sécurité nucléaire — nomination qui a suscité de fortes critiques politiques du fait de son passé antinucléaire.
Toutes ces pressions ont peu à peu élimé le rayonnement du nucléaire français, ralentissant ou enterrant des projets novateurs dans le domaine, à l’image de Superphénix, qui avait l’ambition de recycler une grande partie des déchets nucléaires et d’augmenter considérablement l’efficacité du combustible, dans une logique de surgénération.
Le cas Fukushima
Le 11 mars 2011, un séisme de magnitude 9,0 se déclenche au large des côtes japonaises. Ce dernier provoquera la formation d’un tsunami géant qui viendra frapper la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, submergeant les systèmes de refroidissement et déclenchant la fusion partielle ou totale du cœur des réacteurs n° 1, 2 et 3.
Classée au même rang que la catastrophe de Tchernobyl — niveau 7 sur l’échelle INES, le plus élevé — elle cristallisera à nouveau les peurs autour du nucléaire. L’Allemagne fermera immédiatement huit centrales et poussera encore à sortir de cette énergie. Elle y arrivera finalement en 2023 avec la fermeture de ses derniers sites sur son territoire.
En France, contrairement à l’Allemagne, les arrêts du parc se sont principalement limités à des interruptions prolongées pour maintenance, inspections ou mises à niveau des réacteurs, comme à Tricastin, Paluel ou Flamanville. Les seules fermetures définitives, comme celle de Fessenheim en 2020, résultent de choix politiques et de contraintes de sécurité, sans qu’aucune réactivation ne soit envisagée.
Paradoxe énergétique
Bien qu’aujourd’hui encore la France soit toujours numéro 1 en termes de production d’énergie nucléaire en Europe, elle n’a pas été épargnée par la hausse violente des coûts de l’énergie de ces dernières années. Et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, le parc nucléaire est vieillissant, ce qui entraîne des coûts pour la maintenance et le renouvellement de ce dernier. Et des projets comme l’EPR de Flamanville, maintes fois retardés et entraînant des surcoûts spectaculaires, n’aident pas.
À cela vient s’ajouter des facteurs externes dont la France n’est que partiellement dépendante. Avec la sortie du nucléaire et le développement massif d’énergies renouvelables intermittentes, l’Allemagne dépend désormais fortement du gaz et du charbon pour compenser les fluctuations de production. Et dans un marché européen intégré, cette dépendance entraîne logiquement une hausse des prix spot qui se répercute directement en France, même si la production nucléaire reste majoritairement stable et bas carbone.
C’est donc un mélange de manque de courage de la part des gouvernements français successifs, pour continuer à affirmer la souveraineté énergétique de la France, face à des pressions politiques extérieures — notamment celles de l’Allemagne et de l’Union européenne — qui ont affaibli le nucléaire qui était, à l’orée des années 2000, l’un des fleurons de l’industrie française.
Encore un parfait exemple illustrant que la gouvernance de Bruxelles a fait bien plus de choses négatives à la France que de choses positives.
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