La Commission européenne signe et persiste : l’UE veut spolier les actifs russes pour financer l’Ukraine, quitte à balayer l’exigence d’unanimité entre États membres. Pour Karine Bechet, cette démarche révèle un nihilisme juridique et démontre le caractère dictatorial de cette institution.
Ursula von der Leyen n’écoute nullement les inquiétudes et les critiques, toutes aussi fondées les unes que les autres, des États membres de l’Union européenne concernant l’utilisation des actifs russes entreposés en Europe pour financer la guerre en Ukraine.
Le 3 décembre, la présidente de la Commission européenne a présenté un plan de financement de l’Ukraine pour les deux années à venir. Selon les déclarations d’Ursula von der Leyen, deux options sont à l’étude : soit un « prêt » européen, soit le recours à l’utilisation des actifs russes. L’Europe estime les besoins de l’Ukraine à 137 milliards d’euros.
Comme elle le déclare : « Aujourd'hui, nous proposons de couvrir les deux tiers des besoins de financement de l'Ukraine pour les deux prochaines années. Cela représente 90 milliards d'euros ». Pour ce qui est du reste, il devra être assuré par « les partenaires internationaux ». Il s’agirait de la Grande-Bretagne, du Canada ou du Japon, selon elle.
L’argument avancé est toujours le même : « Nous devons augmenter les coûts de la guerre pour l'agression de Poutine, et la proposition d'aujourd'hui nous donne les moyens de le faire. »
Et le problème est bien là : l’UE n’a pas les moyens – ni politiques, ni financiers – de ses ambitions vindicatives contre la Russie. Les pays membres de l’Union sont déjà tous plus ou moins en crise – politique, économique et sociale. S’ils annoncent la nécessité de soutenir l’Ukraine, ils n’ont plus beaucoup de ressources pour le faire. D’une certaine manière, le sacrifice demandé par le général Mandon est déjà à l’ordre du jour : les politiques sociales et économiques des pays européens sont sacrifiées à l’impératif atlantiste de la guerre sur le front ukrainien.
Un prêt européen, de reconstruction ou d’armement, peu importe la dénomination puisque dans tous les cas il est appelé à soutenir « l’effort de guerre » contre la Russie sur le front ukrainien, nécessite l’accord de tous les pays membres. Or, chacun comprend parfaitement que c’est un prêt à fonds perdus, puisque l’Ukraine n’est pas en état de rembourser et que personne ne sait si elle existera encore à la fin du conflit. Bref, s’il y aura quelqu’un pour rembourser... Beaucoup de pays y sont franchement réticents, la Hongrie est, elle, absolument opposée à cette idée.
Sans oublier que la Banque centrale européenne refuse de cautionner ce prêt de 140 milliards avec les actifs russes. Juste après la sortie de la dernière mouture du plan de la Commission, la présidente de la BCE met en garde : elle fera tout son possible, mais n’entend pas violer les règles du Traité européen.
Ursula von der Leyen et la Commission privilégient alors la seconde solution, c’est-à-dire, pour appeler les choses par leur nom, la spoliation pure et simple des actifs russes. Sur cette question, l’opposition est encore plus forte. Euroclear menace carrément l’UE de recours en justice si elle franchit le pas, la Belgique refuse.
Afin de surmonter cette opposition, la Commission européenne envisage de simplement se passer de l’unanimité. Un vote à la majorité qualifiée serait alors suffisant.
La Belgique bondit. Non pas par respect des droits de la Russie sur ses actifs. Non pas par respect de l’État de droit, qui n’intéresse manifestement plus personne en Europe. Mais parce que la Belgique est en première ligne : c’est chez elle qu’est entreposée la plus grande partie des actifs russes en Europe. Avec la France aussi, mais dans une moindre mesure.
Comme l’a déclaré Maxime Prévot, le ministre des Affaires étrangères : « Nous avons besoin de garanties et d’une mutualisation des risques, au-delà d’Euroclear et de la Belgique. Nos inquiétudes sont légitimes et raisonnables. Il n’est pas acceptable d’utiliser cet argent et de nous laisser seuls face au risque financier. »
Le risque n’est pas que financier. Il est également juridique, puisque cette décision étant illégale, elle sera à l’origine de nombreux recours, qui peuvent coûter très cher à la Belgique et à Euroclear.
Le risque réputationnel n’est pas moindre : quelle confiance dans le marché financier européen pourront avoir, dès lors, les pays étrangers ? La boîte de Pandore aura été ouverte : n’importe quel pays qui se trouverait à un moment donné en opposition au pouvoir globaliste — c’est-à-dire n’importe quel pays qui voudrait redonner la primauté à ses intérêts nationaux et les défendre — se retrouverait avec une épée de Damoclès sur la tête.
Sans parler des risques politiques, cette fois-ci pour l’Union européenne elle-même. En recourant au vote à la majorité qualifiée et en niant le principe de l’unanimité sur une question aussi importante, la Commission européenne veut collectiviser le risque d’une décision controversée.
Ainsi, des pays qui y sont opposés ou réticents, comme la Belgique, se trouveront contraints d’assumer toutes les conséquences d’une décision qu’ils condamnent. Cela peut aggraver la crise politique au sein de cette institution, de plus en plus autoritaire et très éloignée des standards démocratiques.
N’oublions pas que la Russie ne va pas rester les bras croisés. Un décret présidentiel prévoit déjà une procédure simplifiée de transfert de propriété dans certains cas politiques concernant les biens des pays non amis.
Et Dmitri Medvedev prévient : « De telles actions pourraient, au regard du droit international, être qualifiées de casus belli spécifique, avec toutes les conséquences que cela implique pour Bruxelles et les États membres de l'UE. Dans ce cas, le recouvrement de ces fonds pourrait s'effectuer non pas par voie judiciaire, mais par le biais de réparations concrètes versées en nature par les ennemis vaincus de la Russie. »
Cela semble justifier, dans la mesure où personne n’est dupe de la finalité recherchée à l’utilisation de ces actifs. Il ne s’agit pas de construire des hôpitaux, des écoles ou des logements en Ukraine. Il faut augmenter le capital confrontationnel de l’Ukraine dans la guerre atlantiste, qui est y conduite contre la Russie.
C’est bien pour cela qu’Ursula von der Leyen parle d’augmenter le coût du conflit pour la Russie. On n’augmente pas le coût d’un conflit pour l’ennemi en construisant des infrastructures sociales. L’impunité n’est pas éternelle, elle est même souvent illusoire.
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