L’Allemagne creuse la tombe de l’Europe

L’Allemagne creuse la tombe de l’Europe
L’Allemagne creuse la tombe de l’Europe [image d’illustration générée par l’intelligence artificielle]
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Le politologue Guévorg Mirzaïan explique pourquoi un général allemand propose de bombarder la Russie et quelles en seraient les conséquences. Spoiler : cela ne permettra pas à l'Europe d'infliger une défaite à la Russie.

« On pourrait contribuer d’une manière indirecte à ce que le potentiel offensif de l’armée russe ne soit pas du tout exploité. La première possibilité, c’est bien sûr de mener par nous-mêmes des opérations aériennes offensives impliquant des moyens de longue portée et des moyens de guerre aérienne en général : des avions qui frapperaient les aérodromes avant même que ces moyens ne puissent être utilisés. » Cette proposition ne vient pas de Kiev, ni même de journalistes européens irresponsables ou de politiques marginaux. C’est Christian Freuding, général de la Bundeswehr en exercice et chef de l’état-major spécial pour l’aide à l’Ukraine du ministère allemand de la Défense, qui l’a formulée, appelant, au passage, à frapper les installations du complexe militaro-industriel russe.

Pour faire simple, il a plaidé en fait pour que l’Allemagne déclare la guerre à la Russie, ce qui risquerait d’entraîner très vite une guerre nucléaire paneuropéenne.

Ses propos auraient dû provoquer une réaction négative en Occident. Et cette réaction a eu lieu. « L’apparence du général Freuding, qui ressemble à un défunt, est symbolique : on dirait qu’il propose à l’Europe de suivre son exemple et de sombrer dans le sommeil éternel », a écrit le journaliste irlandais Chay Bowes.

Mais il a été le seul à réagir. Ni ses collègues des médias anglo-saxons, ni encore moins les responsables allemands et européens n’ont réagi en aucune manière à la déclaration de Freuding, comme s’il avait dit quelque chose de naturel et d’évident.

Il existe cependant plusieurs explications à ce silence assourdissant.

Premièrement, la russophobie est une tendance incontestable dans l’Europe moderne. Toute déclaration radicale contre la Russie est bienvenue. Auparavant, ces déclarations étaient principalement émises par des hommes politiques de second plan : députés du Parlement européen, membres des assemblées législatives nationales, dirigeants de certains pays limitrophes. Cependant, les militaires de carrière, surtout ceux en activité, s’ils discutaient de telles propositions, le faisaient uniquement en privé (par exemple, quand ils discutaient de la possibilité de détruire le pont de Crimée). Aujourd’hui, ils se sont exprimés publiquement.

Et ils l’ont fait – c’est le deuxième point – parce que l’Europe se trouve dans une impasse stratégique. Elle ne peut pas perdre la guerre contre la Russie en Ukraine : dans ce cas, on commencera à rechercher des coupables dans l’UE, ceux à cause de qui les pays européens ont sacrifié leur économie et leurs intérêts nationaux sur l’autel d’une guerre perdante. Avec une grande probabilité, ce sera (et à juste titre) la Commission européenne. Son discrédit entraînera, à son tour, une demande accrue d’autonomie de la part des États nationaux et, par conséquent, la désintégration de l’Union européenne.

Dans le même temps, l’Europe ne peut pas gagner la guerre avec son niveau d’implication actuel. Les livraisons d’armes ne peuvent que retarder la défaite du régime de Kiev, mais pas le sauver, car le complexe militaro-industriel russe fabrique en beaucoup plus grande quantité que toute l’Europe certains types d’armement. Il est vrai que l’UE a investi dans la restauration de son industrie de défense, mais elle n’atteindra les volumes de production nécessaires que dans un ou deux ans. Et même alors, ce n’est pas certain, étant donné que son complexe militaro-industriel est privé et que les entrepreneurs n’investiront pas dans une augmentation de la production sans garanties de commandes.

Théoriquement, l’UE pourrait se mettre d’accord avec la Russie. Trouver une solution au conflit dans laquelle Moscou atteindrait les objectifs de l’opération militaire spéciale et où l’Europe pourrait qualifier ce qui s’est passé de victoire. Mais personne parmi les dirigeants européens actuels – ni les responsables politiques bruxellois, ni ceux des plus grands pays – n’est prêt à conclure un accord. Ils en ont trop dit et trop fait. De plus, un compromis avec la Russie signifierait la nécessité d’établir un certain modus vivendi, des règles de coexistence, alors que nombre de dirigeants européens sont sincèrement convaincus qu’une Russie hostile (supposée par ailleurs nourrir certains projets agressifs vis-à-vis de l’Europe) est le ciment le plus solide qui préserve l’intégration européenne.

Par conséquent, l’Europe se trouve face à un choix assez difficile : soit maintenir le niveau actuel de soutien à Kiev, en espérant qu’un miracle se produira et que l’Ukraine réussira à changer la donne sur le champ de bataille, soit augmenter nettement le niveau de son implication dans le conflit.

Le problème est que les attentistes, c’est-à-dire ceux qui espèrent un miracle, sont plus nombreux en Europe, car une guerre directe contre la Russie, qui possède l’arme nucléaire, est considérée par beaucoup comme un scénario absolument inacceptable. C’est pourquoi il faut progressivement transformer, dans le cadre de la stratégie de la fenêtre d’Overton, ce scénario inacceptable en un scénario discuté. Et c’est là que des Kaja Kallas (qui parle de la nécessité d’inspecter les navires russes dans la mer Noire), ses collègues baltes (qui appellent à bloquer la mer Baltique et, par conséquent, Kaliningrad) et des généraux allemands en exercice (qui appellent à frapper la Russie) entrent en scène.

Dans le même temps, Berlin ne fait pas que suivre la politique de Bruxelles. Les autorités allemandes considèrent le conflit ukrainien comme un instrument pour renforcer la direction militaro-politique allemande de l’Europe.

С’est pourquoi le chancelier allemand Friedrich Merz augmente radicalement les dépenses de défense, en se disant prêt à acheter des armes pour Kiev auprès des Américains. Ici intervient un banal esprit de revanche : les Allemands ne peuvent pas pardonner à la Russie d’avoir renversé le Troisième Reich et privé l’Allemagne du rôle de dirigeant politique de l’Europe pour presque un demi-siècle.

Même si les idées de Freuding ne sont pas capables de déplacer la fenêtre d’Overton et ne rapprochent pas l’Allemagne de la direction de l’Europe, elles ne seront pas vaines, car plus l’Europe parle ne serait-ce que de la possibilité de franchir des lignes rouges dans le conflit, plus Kiev croit qu’au moins une partie de l’Occident soutiendra son régime jusqu’au bout, par tous les moyens. Or, l’Ukraine reste prête à lutter contre la Russie jusqu’au dernier Ukrainien, en retardant la défaite inévitable de l’Europe dans la guerre.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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