Pour Jean-Christophe Cambadélis, Nicolas Sarkozy se «poutiniserait» - est-ce grave ?

Pour Jean-Christophe Cambadélis, Nicolas Sarkozy se «poutiniserait» - est-ce grave ? Source: AFP
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Lors du séminaire de rentrée du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis a concentré son feu sur Nicolas Sarkozy. Son argument ultime : la «poutinisation des esprits» qui gangrènerait la droite. Poutine s'inviterait-il donc dans le débat ?

Lors du séminaire de rentrée du Parti socialiste (PS), son premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, s'en est pris violemment à Nicolas Sarkozy, dénonçant son programme comme «un projet de société autoritaire et inégalitaire». Et pour quelle raison, Nicolas Sarkozy aurait-il pris ce tournant ? Parce que, selon le responsable socialiste, «la poutinisation des esprits a gagné une grande partie de la droite française. Regardez comment, pour eux, Poutine est un exemple dans la défense des valeurs occidentales, dans la manière de se comporter face aux problèmes, dans la virilité par rapport aux questions posées dans la société !», a martelé Jean-Christophe Cambadélis.

Selon lui, Nicolas Sarkozy porterait donc un projet «autoritaire et inégalitaire» en raison d'une «poutinisation» des esprits et en premier lieu du sien. De plus, un esprit «poutinisé» s'attacherait donc à une  approche «virile» de la politique et des «valeurs occidentales», avance le patron des socialistes français dans une rhétorique quelque peu tautologique.

Généalogie d'une expression massue

Les attaques ad hominem ne sont pas chose nouvelle en politique où il est plus facile de disqualifier un adversaire en lui collant une étiquette et en arguant de sa proximité avec tel ou tel courant politique, de préférence étranger, ou même tel ou tel dirigeant.

Il se trouve que dans la culture politique française, il y a déjà un précédent explicite, un précédent qui fait appel à la mémoire collective. Dans les années 2000, la «lepénisation des esprits» est dans toutes les conversations. En 2002, après le séisme du 21 avril qui avait vu Jean-Marie Le Pen accéder au second tour de l'élection présidentielle, était même publié un «Dictionnaire de la lepénisation des esprits». Le syntagme [nom propre + le suffixe «-isation»] a depuis lors fait florès et constitue une arme redoutable pour disqualifier un adversaire, en raison de la charge négative qu'elle doit au fondateur du Front national. Et l'expression «poutinisation des esprits» s'en rapproche incontestablement. 

Autre exemple d'«-isation» d'un méchant à l'appui de cette thèse : Donald Trump. En juillet dernier, Manuel Valls avait ainsi déjà dénoncé une «trumpisation» de la droite pour défendre son ministre de l'Intérieur. Manuel Valls avait réaffirmé qu'il ne voulait pas que la France «ressemble à Monsieur Trump» et à un «discours de haine», alors que Bernard Cazeneuve était mis en difficulté, vivement attaqué au sujet du dispositif de sécurité mis en place le soir de l'attentat de Nice.

Mais, concernant la «poutinisation» proprement dite, on trouve des traces plus anciennes encore de cette formulation. En 2015, l'éditorialiste Alain Duhamel déplorait ainsi une «poutinisation de la Turquie» reprenant le terme et les analyses de Médiapart en 2013, média lanceur de tendances en la matière.

En 2014, le funeste processus de ce qui semble être une forme de radicalisation à en croire le Nouvel Obs avait aussi touché le mouvement de la Manif pour tous qui avait envoyé une délégation à Moscou.  

Toujours en 2014, Rue89, dans un article consacré aux investissements russes en Algérie diagnostiquait déjà une «poutinisation» de l'Algérie. 

La même année, le philosophe Bernard-Henri Lévy – peut-être à l'origine du succès de l'expression – évoquait ainsi au micro d'Europe 1 une «poutinisation» de la Russie elle-même : «Dans ce monde terrible dans lequel nous sommes de nouveau entrés [...] il y a un ennemi qui est la Russie...», dénonçait-t-il, avant de se reprendre et de corriger : «...pas la Russie, mais la Russie poutinisée». Le mot – l'étiquette – était véritablement consacré. 

Des occurrences anciennes certes, mais il faut un certain temps avant qu'une expression ne sorte des laboratoires médiatiques et des limbes des lieux communs, et ce, seulement après avoir été testée et validée par des leaders d'opinion.

En une seule phrase accusatoire sortie de la bouche du premier secrétaire du PS, voilà donc que Vladimir Poutine, président d'un pays étranger, devient une référence dans le débat politique français. Une référence sulfureuse certes, mais une référence, et même un épouvantail ultime qui permettrait de clore tout débat.

Alexandre Keller

Lire aussi : Clinton taxe Poutine de «parrain du nationalisme extrême», Assange dénonce son hystérie antirusse

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