Depuis plus de vingt ans et la guerre tragique en ex-Yougoslavie, la menace provenant des Balkans qui germe au cœur du vieux continent pourrait constituer, selon Sébastien Boussois, un grave danger à venir pour la sécurité de l’Europe.
Depuis plus de vingt ans et la guerre tragique en ex-Yougoslavie, la menace provenant des Balkans qui est en train de germer petit à petit mais sûrement au cœur du vieux continent pourrait constituer un grave danger à venir pour la sécurité de l’Europe. Elle prend racine au cœur même des frontières terrestres de celle-ci dans une région encore enclavée, divisée, entre ceux qui profitent du gâteau européen en ayant bénéficié de ses avantages… et les autres. En effet, la progression de l’idéologie djihadiste pourrait se faire, à grands renforts de soutiens de certains pays du Golfe, par la diffusion d’un islam salafiste cher à Riyad et qui n’a de cesse d’être surfinancé dans des zones de reconstruction politique comme les Balkans, en partie négligées par Bruxelles. A la faveur de communautés marginalisées et de pays en quête de la voie royale pour intégrer l’Europe.
C’est à la suite d’une lettre adressée à Josep Borrell, le Haut-Représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de Sécurité, par six députés européens[1], que le sujet brûlant de l’islam politique dans les Balkans est revenu au cœur du débat européen. Il est impératif dans la politique de voisinage de l’Union en cours de s’y pencher au plus vite pour dénoncer ce que les députés considèrent comme un programme radical salafiste dans la région financé par des puissances étrangères. La lettre, qui a été signée par six députés européens, dénonce spécifiquement le rôle des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite dans l’installation d’un véritable cheval de Troie au cœur de l’Europe. Ce constat est basé sur la publication en novembre 2019 d’un rapport du think tank londonien TACTICS[2] en janvier 2020, dont les conclusions ont été présentées dans la foulée lors d’une session parlementaire à Strasbourg[3], mettant en garde contre la radicalisation en cours de catégories de populations présentes notamment en Macédoine et en Bulgarie. En effet, le rapport évoque une stratégie de financement de l’islam local, des médias communautaires, dans ces pays à forte ruralité et où en particulier les Roms sont largement discriminés. Bien que historiquement non musulmans, ces derniers sont devenus, selon le rapport, une cible idéale, sensible aux discours radicaux de rupture, mais aussi sujet à recrutement en vue de mener des activités terroristes. Le rapport cité intitulé Exclusion sociale et radicalisation dans les Balkans. Comment l'Arabie saoudite et les EAU financent la radicalisation salafiste[4] explore la radicalisation comme une voie vers le terrorisme qui n'est ni linéaire ni incontournable et désigne des responsables. Il se concentre ainsi sur les moteurs économiques et sociaux qui rendent les mentalités particulièrement perméables à la radicalisation, telles que l'exclusion sociale instrumentalisée par des puissances étrangères.
Ici, les cibles sont déjà au cœur des Etats-membres, marginalisées comme les Roms, donc à fort potentiel de frustration et de discrimination, exploitables à dessein contre l’Europe. Des arsenaux militaires provenant d’Arabie Saoudite et des EAU, et démantelés dans les Balkans, avaient été déjà trouvés au sein de certains groupes terroristes locaux. Cependant les craintes régionales ne sont pas nouvelles et visaient énormément jusque-là plutôt la Bosnie Herzégovine qui n’est pas dans l’Union, mais a déposé sa demande auprès de Bruxelles. Idem pour le Kosovo. Aujourd’hui, la Bosnie est encore bien loin d’y parvenir, contrairement à ses voisins croates et serbe par exemple. Historiquement, l’Europe néglige depuis longtemps cette région en matière de programmes de sensibilisation à la radicalisation. Quand on pense à l’est et au sud de l’Europe, on pense plutôt à la menace des extrême et ultra-droites. Pourtant, au nom de sa sécurité, l’Europe, à trop regarder son rivage sud de l’autre côté de la Méditerranée, a tendance à négliger le cœur de son espace géographique. Ce que l’on pourrait appeler son «heartland». Ce cœur géographique qui, s’il est contrôlé, permet une mainmise sur l’ensemble plus vaste dont il fait partie. Les documentaires et les articles de presse écrite se suivent en ce moment et se ressemblent sur le risque que représente un pays comme la Bosnie Herzégovine, poudrière de l’ex-Yougoslavie, musulmane à 51 %. Pourtant, rien n’y fait.
Alors que la Croatie a intégré le club très convoité des 28, Sarajevo n’est absolument pas une priorité dans la politique de voisinage européenne. Pourquoi est-ce une erreur fondamentale de Bruxelles ? Et pourquoi devrait-on continuer à s’en inquiéter ? Premièrement, parce que le conflit qui a déchiré la région dans les années 1990 a vu se confronter des nationalismes très virulents : le rêve de grande Serbie de Belgrade s’est confronté à la résistance croate sur un champ de bataille bosnien. Sarajevo a vécu le plus long siège de l’histoire, 4 ans, avant la fin du conflit. Entre-temps, il y eut un génocide de musulmans, reconnu comme tel par les Nations unies, et, à de rares exceptions strictement définies par le droit international, de la population de Srebrenica par les Serbes. Près de 8 000 musulmans furent exterminés sur le champ de bataille en 1995. Les premiers djihadistes européens, au sens de ceux que nous connaissons actuellement, investirent très rapidement la région dans les années 1990, au nom d’une défense de l’islam contre l’orthodoxie serbe et son rêve obsessionnel de Grande Serbie. Deuxièmement, la fin de la guerre et les accords de Dayton en 1995 vit la présence de la coalition menée par l’Otan et les Américains s’installer fermement dans la région pour restaurer une part de paix. C’est le retour de la valse des puissances étrangères dans la région. Or le symbole même de l’écrasement des musulmans en Bosnie n’a certainement pas disparu et n’a jamais été vengé. Troisièmement, et ce parallèlement, après la fin de la guerre, Arabie saoudite et Pakistan investirent le pays pour inonder la population de leur idéologie radicale. Aujourd’hui, les Emirats sont aussi de la partie. En 2011, on parlait de près de 3 000 islamistes dangereux mais les rangs risquent bien de se gonfler. L’idéologie salafiste s’est implantée dans la région, sur un terreau fertile d’humiliation et de massacres.
Or, il fut un temps où l’islam des Balkans était plutôt sunnite d’inspiration libérale. Très souples avec les intégrismes, les autorités bosniennes avaient serré la vis après le 11 Septembre. Mais comment feront-elles face à l’arrivée de nouveaux djihadistes du terrain moyen oriental et face à la montée des convertis, formés par Riyad et Abu Dhabi, et prêts à en découdre avec ces Européens qui ne veulent pas d’eux ou ne les défendent pas ? Dans l’ère d’après-Covid, la main-d’œuvre locale et désœuvrée dans les Balkans ne manquera pas. Bosnie, Kosovo, Albanie[5], Macédoine du Nord, Bulgarie constituent entre autres un puissant vivier de pauvreté, de discriminations, de frustration et de haine. Certains sont déjà dans l’Union, d’autres non ou en voie. A l’extérieur, ils sont un problème. Dedans, seront-ils une solution pour toutes ces communautés en souffrance ? L’Europe doit réaffirmer ses valeurs là-bas et poursuivre sa lutte contre la radicalisation et le salafisme sur son propre terrain, mais elle doit également couper le mal à la racine en luttant sur le terrain local, dans son voisinage immédiat contre ces pays qui cherchent durablement à s’implanter au cœur du vieux continent avec leur idéologie de mort.
[1]https://www.brusselstimes.com/opinion/116648/europe-needs-to-take-a-stand-against-radicalisation-in-the-balkan/
[2] Institute for Security and Counterterrorism
[3]https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/E-9-2020-000203_EN.html
[4]https://www.tacticsinstitute.com/news/details/78/report-balkans
[5]https://www.la-croix.com/Monde/Europe/LAlbanie-Macedoine-Nord-route-vers-lEurope-2020-03-25-1201086062
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