Libération promettait de débusquer les «intox» de RT sur la Syrie. Ce que les «enquêteurs» ont trouvé ? Des reportages, des témoignages, des déclarations. Bref : du journalisme, rappelle le rédacteur en chef TV de RT France, Jérôme Bonnet.
La lutte contre les fake news, ce fléau des temps modernes, est dans l’air du temps en France, et le journal Libération, jamais en peine de causes à défendre, se devait d’apporter sa pierre à l’édifice. C’est pourquoi, au détour du dossier de couverture de ce 4 mai, Armes chimiques : la Russie noie le poison, on trouve un large encadré intitulé Russia Today, Sputnik… un mois d’intox passé au crible.
Chic !, se dit le lecteur aguiché. Il va enfin pouvoir trouver des exemples concrets de ces fameuses informations sciemment erronées, celles qui ourdissent dans l’ombre toute relative des plateaux télé la chute de la démocratie, dont on lui rebat les oreilles depuis plus d’un an. Pour les traquer, Libération a mandaté, probablement au hasard, une «journaliste» du nom de Hala Kodmani.
Aux grands maux les grands remèdes ! Pour démasquer ces fausses informations, l’intrépide enquêtrice n’a pas hésité à s’infiltrer… au creux de son canapé, dûment équipée de l’outil indispensable à tout aspirant au prix Pulitzer : sa télécommande. Elle a regardé RT France, quoi. Mais probablement, n’en doutons pas, au péril de sa vie.
Le résultat ? Un interminable calendrier relatant la couverture par notre chaîne des événements consécutifs à la frappe chimique présumée à Douma, rythmé d’intertitres égrenant les jours (8 avril, 9 avril, 10 avril…). Ça s’annonce haletant !
Première constatation : le « mois d’intox » vendu en corps 24 au-dessus de l’article s’étale en réalité du 8 au 26 avril. Sans doute la faute à un crible un peu trop étroit, on ne dira jamais assez combien la presse libre d’investigation souffre de son manque de moyens. Heureusement, l’auteur a pensé à tout : son dernier intertitre est prudemment intitulé «Depuis». Si ça se trouve, l’encadré est mal vendu et à l’heure où nous écrivons ces lignes, ce 4 mai, il compte quelque 28 jours. Plus que quelques-uns, et il tiendra sa promesse. Conservez-le précieusement : l’année prochaine, ce sera plus d’un an d'«intox» mise au jour, et cela pour le même prix. Merci Libé !
Mais foin de considérations marketing, découvrons donc les révélations que la minutieuse enquête de Hala Kodmani aura mises au jour. Qu’a donc mis à l’antenne RT France durant ce laps de temps ? Des déclarations de responsables occidentaux, mais aussi russes ou syriens, des reportages impliquant des témoignages de personnes présentes sur les lieux au moment de l’attaque, des reporters – parfois même des Occidentaux ! – faisant état de leur incapacité à trouver des preuves de cette dernière… Bref, autant d’éléments de nature à contrarier la version «officielle» mainstream distillée en continu par Libé et ses confrères, dont il ne s’agit pas de douter. L’attaque a bien eu lieu, elle est l’œuvre de Bachar el-Assad, et la France a bien eu raison de bombarder Damas. Un point c’est tout ; circulez, y a rien à voir.
C’est bien ennuyeux pour Madame Kodmani, mais le pire est sans doute dans la nature-même des éléments diffusés. Déclarations, reportages, témoignages ou interview : il n’y a là rien qui semble se situer en dehors de la pratique journalistique et jamais l’auteur ne nous expliquera en quoi les programmes qu’elle a si hardiment regardés constituent de «l’intox», pour reprendre ses mots. Si les «officines de propagande» se mettent à faire de l’info à présent, où va le monde ? Il était plus que temps de dénoncer cette concurrence déloyale !
Pour Libération, en revanche, tout va bien de ce côté-là. Les très sulfureux Casques blancs ou le controversé Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) sont des «sources d’informations citées régulièrement par les agences de presse internationales». Et les officiels russes qui passent leur temps à nier l’évidence de la responsabilité du chef d’Etat syrien «ne publient aucun rapport pour étayer leurs affirmations». Certes, les Américains et les Anglais ne l’ont pas fait davantage, tandis que le gouvernement français affirmait avoir acquis ses certitudes… sur les réseaux sociaux, mais là n’est pas la question. Ne détournez pas le débat s’il vous plaît, ce mauvais esprit est insupportable.
Et bien soit, avouons-le : nous avons mauvais esprit, c’est vrai. Le genre de mauvais esprit qui fait douter des versions «officielles». Le même qui nous pousse à interroger sur internet des patronymes, comme «Hala Kodmani», par exemple. Or la consultation de sa fiche Wikipédia, source d’informations citée assez peu régulièrement par les agences de presse internationales, est assez instructive. On y découvre que Hala Kodmani, responsable de la rubrique Syrie à Libération, a auparavant dirigé la rédaction arabe de la chaîne France 24. Bon. Mais aussi qu’elle est la sœur de Bassma Kodmani, cofondatrice du Conseil national syrien, organe de l'opposition syrienne basé à Paris. Et surtout qu’en 2011, «elle fonde et préside l'association française Souria Houria (Syrie Liberté) qui milite pour le renversement du régime de Bachar el-Assad». De quoi forger une neutralité sans taches, propre à écrire des articles dénués de toute arrière-pensée sur le conflit syrien et ses enjeux. Mais de cela, le lecteur peu curieux ne saura rien, puisque seul le nom de Hala Kodmani figure au bas de l’article, comme il se doit de tout journaliste digne de ce nom.
A Libération, on est manifestement bien plus soucieux de la déontologie des confrères, surtout s’ils sont russes, que de la sienne propre. Mais il faut les comprendre : le quotidien ne dispose hélas pas de cellule d’investigation pour enquêter sur… les collaborateurs qui écrivent dans Libé. Et puis on ne peut pas tout faire à la fois : difficile d’ôter la poutre que l’on a dans l’œil lorsque l’on est déjà occupé à ôter la paille de celui du voisin.
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