L’anglais prend le pas sur le français dans les écoles libanaises

L’enseignement anglophone dépasse désormais celui du français au Liban, porté par une forte demande des parents et l’impression que l’anglais garantit des débouchés. Les écoles francophones reculent, privées comme publiques, malgré un attachement au trilinguisme (français, anglais, arabe).
Trois ans après l’ouverture des premières sections anglophones au Collège des Sœurs Antonines de Roumié, en périphérie de Beyrouth, l’établissement continue d’agrandir cette filière. En maternelle, deux sections anglophones ont été ajoutées cette rentrée et l’objectif est désormais d’atteindre le baccalauréat international (IB).
La langue française reste dominante, mais l’école, traditionnellement trilingue, s’oriente davantage vers l’anglais « en réponse à une forte demande des parents », selon Madeleine Hage, conseillère pédagogique.
Le français, une langue «vieillotte»
Selon le Centre de recherche et de développement pédagogique (CRDP), l’enseignement anglophone concernait plus de 600 000 élèves en 2023‑24 (55,45 % des effectifs), contre environ 482 000 en francophone (44,55 %). Vingt ans plus tôt, le français représentait près de 65 % des inscriptions, un renversement net.
Les établissements francophones ont dû s’adapter : par exemple le Lycée Notre‑Dame de Maghdouché, à Saïda, a ouvert deux classes anglophones pour accueillir ses futurs élèves, faute d’inscriptions suffisantes autrement. Dans le secteur public également, le passage à l’anglais s’accélère.
L’école al‑Ghassaniyé de Saïda a progressivement viré vers l’anglais faute de moyens pour entretenir le français. Une vingtaine d’écoles publiques pilotes ont même introduit l’IB anglophone depuis 2023. Pour certains établissements privés encore francophones, l’anglais est perçu comme la « langue du travail », des études supérieures et des emplois bien rémunérés.
Le français, quant à lui, souffre d’une image de langue « vieillotte » et d’un enseignement jugé archaïque. Toutefois, certaines écoles francophones mettent en avant le trilinguisme (français, anglais, arabe) comme voie d’avenir.
Le nombre d’écoles privées anglophones est passé de 445 en 2018‑19 à 494 en 2023‑24, tandis que les francophones sont descendues de 444 à 377. Même tendance dans le public. Cependant, les régions comme le Liban‑Nord et l’Akkar restent majoritairement francophones en raison de contraintes financières.
Le résultat est un système éducatif en pleine recomposition, où la politique linguistique reste imprécise et inégalitaire : le trilinguisme profite surtout aux écoles élitistes. Une étude de 2023 réalisée par l’IF et le CRDP regrette le manque de clarté de la politique linguistique libanaise et pointe l’élitisme du modèle du plurilinguisme, accessible surtout aux classes aisées.
Face à une pénurie d’enseignants, des moyens limités et une crise structurelle, l’enseignement du français est confronté à un important défi : se réinventer comme langue fonctionnelle, et non seulement prestigieuse.