Pour Pierre Lévy, la couverture médiatico-politique relativement discrète du meurtre du directeur du Centre d’accueil des demandeurs d’asile de Pau s'explique par une crainte de «faire le jeu» du RN. Une méthode selon lui contre-productive.
Vendredi 19 février, un homme de nationalité soudanaise a poignardé le directeur du Centre d’accueil des demandeurs d’asile de Pau (CADA). La victime est décédée des suites de ses blessures. Le meurtrier, un migrant âgé de 38 ans, était venu armé d’un couteau. Appréhendé par la police, il a reconnu les faits et a été placé en détention. L’émotion fut évidemment considérable parmi le personnel du centre.
L’auteur du meurtre était en passe de recevoir une injonction de quitter le territoire. Il avait un dossier judiciaire chargé pour plusieurs faits de violence. Il a affirmé craindre d’être expulsé vers son pays d’origine. Si l’on s’intéresse aux faits bruts, le commentaire qui s’impose à ce stade est le souhait que la justice suive son cours, sans faiblesse ni excès.
Mais si l’on examine la réception médiatique de l’événement, il n’est pas interdit d’être surpris. Certes, celui-ci n’a pas été passé sous silence. Mais tant la presse écrite nationale que les grandes chaînes ont fait preuve d’une certaine discrétion. Par exemple, le soir même, France 2 ne présentait le sujet qu’en seconde moitié de journal.
Le contraste est frappant si l’on compare à l’assassinat dont avaient été victimes, deux semaines plus tôt, deux employés du Pôle emploi de Valence. L’affaire avait alors fait les gros titres et les unes télévisées.
Surtout, on imagine sans peine la tempête qu’aurait déclenchée un tel drame si le demandeur d’asile avait été non l’auteur mais la victime – par exemple du fait du geste d’un militant d’extrême droite. Ou si c’était un tel activiste qui avait tué le malheureux responsable du CADA, qui plus est s’il avait expliqué son crime en jugeant les conditions d’accueil accordées aux réfugiés trop laxistes. Après tout, le meurtrier a justifié son geste en affirmant que son dossier avait été mal traité.
Un tel meurtre aurait alors – qui peut en douter ? – suscité une indignation générale de la classe politique. Des éditions spéciales se seraient succédé. D’aucuns auraient gravement pronostiqué le retour «des heures les plus sombres de notre histoire». Des appels à manifester se seraient multipliés, auxquels des membres du gouvernement auraient probablement contribué. Le président aurait sans doute saisi l’occasion d’une intervention solennelle.
Du reste, qui ne se souvient de l’onde de choc qui avait ébranlé l’Allemagne lorsqu’un militant de la mouvance néonazie avait abattu un haut fonctionnaire dans la ville de Kassel en juin 2019 ? Cérémonies officielles et hommage national avaient été organisés ; les plus hautes autorités de l’Etat avaient pointé la gravité de l’acte – à juste titre.
Chaque contexte est évidemment particulier, mais le contraste est tout de même saisissant. Le silence qui a rapidement recouvert le drame de Pau, après le déplacement express du ministre de l’Intérieur flanqué du maire de la ville, devrait laisser songeurs tous ceux que le deux poids, deux mesures insupporte.
L’explication d’une telle situation ne devrait en tout cas échapper à personne. Nul ne l’écrira explicitement, mais elle peut se formuler simplement : «Il ne faut pas faire le jeu de Marine Le Pen ».
Cette approche est tout à la fois inacceptable et stupide. Inacceptable parce que la vérité des faits et l’équilibre de leur traitement doivent primer sur toute autre considération ; stupide parce que ceux qui espèrent minorer l’influence du Rassemblement national en minimisant des faits dont on craint qu’il les exploite provoquent tout naturellement l’effet inverse.
Il suffit de se souvenir des graves incidents qui avaient marqué la nuit du 31 décembre 2015 à Cologne : plus de 1 200 plaintes avaient été déposées, dont environ 500 pour des agressions sexuelles ou viols survenus lors de rassemblements du réveillon dans la ville. La police régionale avait rapidement établi que les auteurs des faits étaient très majoritairement des migrants (ce qui ne signifie évidemment pas que les migrants soient majoritairement des agresseurs) ; mais elle avait fait le choix de dissimuler cette information – toujours avec l’idée de ne pas donner des arguments à l’extrême droite.
Forcément, la réalité avait fini par se faire jour. Le choc en retour, parmi la population, n’en avait été, logiquement, que plus violent. Moins de deux ans plus tard, ceux qu’on voulait marginaliser – en l’occurrence le parti AfD – devenaient le premier parti d’opposition.
Pierre Lévy