Bayonne : les catégories populaires, victimes de l'impunité du lumpenprolétariat ?

Bayonne : les catégories populaires, victimes de l'impunité du lumpenprolétariat ?© GAIZKA IROZ Source: AFP
Bayonne, dans le sud-ouest de la France, le 8 juillet 2020. (Image d'illustration).
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La mort d'un chauffeur de bus, Philippe Monguillot, a provoqué l'indignation en France. Pour Georges Kuzmanovic, fondateur de République souveraine, ce meurtre fait écho à l'impunité qui sévit en haut comme en bas de la société. Entretien.

RT France : Comment réagissez-vous au décès de Philippe Monguillot, chauffeur de bus violemment agressé à Bayonne le 5 juillet ? Au-delà de la consternation, cette affaire revêt-elle, selon vous, une dimension politique ou s’agit-il d’un simple fait divers ?

On pourrait dire qu’il s’agit d’un fait divers tragique, condamner et puis oublier sans en tirer les conséquences. Ce serait, je crois, une erreur grave. Ce meurtre fait suite à de nombreuses exactions et crimes du même ordre.

Voyez le cas du jeune Marin qui s’était interposé à Lyon pour protéger un couple qui se faisait agresser pour un simple baiser dans la rue : il a été roué de coups, plongé dans le coma et souffre encore de lésions cérébrales. Après seulement trois ans et demi de prison, on parle de libération de son agresseur. Il en va de même pour le courageux barman de l’Assemblée nationale, Jean-Michel Gaudin, qui avait porté secours à une femme violentée ; les agresseurs l’ont tellement battu qu’il restera gravement infirme à vie et eux n’ont écopé que de condamnations allant de cinq ans (un des agresseurs était mineur au moment des faits) à sept ans, lesquelles ont toutes les chances d’être réduites dans les années à venir.

Cela crée nécessairement un sentiment d’impunité pour ce type d’individus qui ne sont rien d’autre que des prédateurs sociaux, de véritables bombes humaines saturées de haine, prêts à frapper quand bon leur semble. Ainsi hier, une énième fois, un pompier était attaqué dans l’Essonne et blessé par balle à la jambe. On pourrait se demander dans quel esprit malade vient l’idée de tirer sur ceux qui viennent vous sauver, mais ce serait psychologiser ce qui est devenu une dérive globale : les pompiers n’en peuvent plus d’être attaqués sans cesse dans l’exercice de leurs fonctions au service de leurs concitoyens.

L’impunité de ce nouveau «lumpenprolétariat» fait d’ailleurs écho à l’impunité des plus puissants de notre société qui se délite par ses deux bouts. Il y a dans notre République des zones de non-droit et il faudra un jour prendre le taureau par les cornes avant que cela ne dégénère totalement – par le bas et par le haut.

Pour moi, le meurtre de Philippe Monguillot s’inscrit dans la continuité d’une hausse de ce type de violences, mais également d’une hausse substantielle des incivilités et d’un effondrement des simples pratiques de politesse. Cela dit quelque chose de l’état de notre société, de la nation.

RT France : A droite, de nombreuses personnalités ont réagi en réclamant la fin du laxisme et la sévérité pour les agresseurs. La justice est-elle trop clémente dans ce type d’affaires ?

Souvent, à droite, ce type d’événements tragiques suscite, certes, des condamnations immédiates et fermes – ce qui est une bonne chose – mais sans que jamais cela n’entraîne une réflexion sur les causes profondes du développement de ce type de criminalité. La droite réclame plus de sévérité et fustige la clémence de la justice… tout en oubliant sa responsabilité dans l’insuffisant financement de la police et de la justice qui manquent tant de moyens que de personnels. C’est bien sous la présidence de Nicolas Sarkozy que les effectifs de police ont été gravement réduits, c’est sous sa présidence qu’a été abandonnée la police de proximité et qu’a été instaurée une politique du chiffre qui ne résout rien, bien au contraire.

La droite a, durant les quarante dernières années, défendu avec passion les politiques néolibérales et les exigences de l’Union européenne quant à la réduction du financement des services publics ; elle s’est souvent vautrée dans l’atlantisme le plus complaisant en oubliant que ce qui accompagne le néolibéralisme économique et le communautarisme étasunien, c’est cet individualisme forcené qui n’a que faire de l’autre et de la société et qui est aussi le terreau sur lequel fleurit cette criminalité barbare.

«Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes», disait Bossuet, il y a longtemps déjà.

Emmanuel Macron a choisi ses ennemis, nous n’aurions pas choisi les mêmes.

Je note que lorsque le pouvoir en ressent le besoin, la police opère avec dureté et la justice est inflexible. Je pense tout particulièrement à la répression policière et judiciaire du mouvement des Gilets Jaunes : 12 000 arrestations, 3 000 condamnations dont 1 000 à de la prison ferme, sans parler des énucléés, de ceux qui ont perdu un membre ou des centaines de blessés graves… pour des citoyens pour la plupart sans casier judiciaire et qui ne demandaient qu’un peu plus de justice fiscale et sociale. Quand on veut, on peut. Emmanuel Macron a choisi ses ennemis, nous n’aurions pas choisi les mêmes.

Le problème global n’est pas le laxisme de la justice, mais les moyens dont elle dispose ainsi que la volonté politique d’agir. Il est indispensable de repenser les sanctions envers les mineurs : on ne peut ni les renvoyer chez eux, et donc laisser s’enraciner un sentiment d’impunité, ni risquer de les radicaliser plus encore en les enfermant dans des prisons déjà surpeuplées, remplies de condamnés de droit commun majeurs. Il faut adopter une punition réelle et forte, mais adaptée.

De manière globale, on manque d’une République et d’un Etat forts, mais aussi de travail – en raison des délocalisations, qui sont la résultante des traités de libre-échange et des traités européens. Trop souvent également, le système éducatif ne répond plus aux attentes d’insertion dans la société, les services publics font défaut, tout comme le sens du devoir envers la communauté nationale et la responsabilité envers les autres. A République souveraine, nous considérons que la suppression du service national – décidée par la droite, rappelons-le – a été une faute grave, tant du point de vue politique que de celui de la cohésion sociale.

RT France : A gauche, l’affaire a suscité moins de réactions. Comment l’expliquez-vous ?

A vrai dire, beaucoup de figures à gauche ont condamné le meurtre de Philippe Monguillot, mais la condamnation se fait souvent en catimini et ne donne lieu à aucune suite. Souvent il s’agit de réagir seulement quand le débat public et médiatique interdit d’ignorer publiquement tel ou tel crime.

D’abord, la gauche de gouvernement porte la même responsabilité que la droite de gouvernement sur ces quarante dernières années : affaiblissement de l’Etat, suivisme des diktats de Bruxelles, atlantisme, politiques néolibérales. Ensuite, une certaine gauche a bien de la peine à se saisir de cette criminalité, de la dénoncer fermement et d’agir pour qu’elle cesse, car elle a peur de donner du grain à moudre à l'extrême droite, peur que cela ne soit interprété comme de la haine envers les migrants.

Le problème, c’est qu’une bonne partie de la gauche parle très rarement d'insécurité, sans se rendre compte que les premières victimes de l’insécurité sont les catégories populaires, qu’elles soient d’ailleurs immigrées ou pas. Or la sécurité est la première des libertés. Le combat contre cette criminalité insupportable est à même de rassembler au-delà de tout communautarisme, par-delà les origines ethniques ou religieuses : la plupart des Français, quelles que soient leurs origines, souhaitent vivre en paix et ne pas craindre les petits voyous auxquels le pouvoir a abandonné les quartiers et leurs habitants.

Sur ce sujet, je pourrais paraphraser George Orwell, authentique «socialiste démocratique» dont je me sens proche et qui, désabusé par «la gauche», déclarait : «Ce qui me dégoûte le plus chez les gens de gauche, particulièrement chez les intellectuels, c'est leur ignorance crasse de la façon dont les choses se passent dans la réalité.» On en est toujours là : le refus de voir la réalité et donc d’agir dessus. Une partie de la gauche semble avoir oublié le concept de «lumpenprolétariat» développé par Karl Marx et qui caractérise bien ces criminels qui s’en prennent d’abord aux travailleurs. Le «lumpenprolétariat» décrit cette frange du prolétariat qui a quitté les classes populaires par le bas et où on retrouve les voyous, les petits criminels – tous ces gens qui n’ont plus de conscience de classe, qui sont immoraux, mal éduqués et individualistes. Ce sont des alliés objectifs de l'oligarchie capitaliste car ils copient, à leur échelle, son ethos : la prédation violente, pour soi et contre les autres. C’est aussi s’occuper des catégories populaires, tâche normalement dévolue à la gauche, que de la débarrasser de ce lumpenprolétariat. La gauche actuelle semble incapable même de penser le sujet.

RT France : La nomination d’Eric Dupond-Moretti au poste de ministre de la Justice fera-t-elle évoluer la situation, selon vous ?

Encore une fois, les problèmes sont structurels et sont la conséquence des choix de société et des politiques néolibérales et européennes qui ont affaibli l’Etat et la République. Une personne seule n’y changera rien, surtout en aussi peu de temps, et encore moins un Eric Dupond-Moretti qui critique la «sévérité des magistrats» et se déclare contre les prisons.

Le laxisme a encore de beaux jours devant lui. Les crapules du type de celles qui ont tué Philippe Monguillot et tabassé des Marin ou des Jean-Michel Gaudin, les violeurs (1% de condamnés pour plus de 200 viols par jour en moyenne) ou les grands criminels en col blanc peuvent encore sévir sans crainte, malheureusement.

Georges Kuzmanovic

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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