Le spécialiste de l'Afrique Bernard Lugan continue sa réflexion autour du problème malien et songe aux différentes possibilités qui permettraient de mettre fin au conflit qui déchire ce pays.
Dans un précédent article, nous avons vu qu’au Mali, des conflits récurrents et résurgents opposent des populations que tout sépare ; or depuis des décennies, au nom du mythe universaliste du «vivre ensemble», la seule solution proposée est électorale. L’expérience a pourtant montré que les élections n’ont jamais traité en profondeur les causes des affrontements ethniques car elles n’effacent pas plus les réalités géo-ethnographiques que la pluie les rayures des zèbres.
Mais il y a encore plus grave : l’ethno-mathématique électorale confirmant la domination démographique, donc démocratique, des plus nombreux, les ressentiments des peuples minoritaires en sont à chaque fois aggravés. Résultat : le feu qui couve se rallume périodiquement.
Le problème malien se résume donc à la question de la cohabitation au sein d’un même Etat artificiel de plusieurs populations n’ayant aucune réelle volonté de vivre ensemble. Comment en effet prétendre unir les agriculteurs noirs sédentaires du sud et les nomades berbères ou arabes du nord, quand le contentieux qui les oppose s’inscrit dans la nuit des temps ?
Depuis le néolithique, sudistes et nordistes sont en rivalité pour le contrôle des zones intermédiaires situées entre le désert du nord et les savanes du sud. En plus d’être ethno-raciale, leur opposition était traditionnellement liée à deux modes de vie différents et même concurrentiels :
-Celui des nordistes était basé sur la transhumance des troupeaux et il avait pour impérieuse nécessité la liberté d’accès au fleuve.
-Celui des sudistes est fondé sur la sédentarisation, l’agriculture et les villages ; nous sommes ici dans la civilisation des greniers.
La colonisation fut donc libératrice pour les sudistes alors qu’elle fut spoliatrice pour les nordistes
Le Mali a vu se succéder plusieurs empires qui furent d'abord des carrefours commerciaux reliant le monde ouest-africain à la Méditerranée. Dans un premier temps, avec les royaumes du Ghana et du Mali, les pistes menaient vers le Maroc. Puis, avec l'empire Songhay, davantage centré sur la boucle du Niger, les pistes sahariennes furent orientées plus à l'est, vers Tripoli et l'Egypte.
En réaction, en 1591 l’empire Songhay fut conquis par les armées marocaines qui fondèrent le Pachalik marocain de Tombouctou.
Plus au sud, la dislocation de l’empire songhay donna naissance aux royaumes bambara de Ségou et du Kaarta. A partir de la fin du XVIIIème siècle, ces deux royaumes animistes subirent les razzia esclavagistes menées par les populations nomades nordistes, Touareg, Maures et Peuls.
Au XIXème siècle, lors du grand djihad peul de Sékou Amadou, et après une farouche résistance, le royaume bambara de Ségou fut conquis, ravagé et islamisé.
Puis, entre 1880 et 1900, le long du fleuve Niger, les colonels Gallieni et Archinard détruisirent les sultanats djihadistes et libérèrent les populations noires sédentaires des raids esclavagistes, pendant que dans la boucle du Niger les Touareg étaient repoussés vers le massif des Iforas.
La colonisation fut donc libératrice pour les sudistes alors qu’elle fut spoliatrice pour les nordistes. De plus, elle bouleversa en profondeur les rapports de force régionaux et rassembla vainqueurs et vaincus, dominants et dominés, nomades et sédentaires dans les limites administratives du Soudan français.
Nous ne sommes pas face à une guerre de religion, mais en présence d’un conflit ethnique et même racial
Entre 1959 et 1960, fut tentée l'expérience de la Fédération du Mali qui englobait le Sénégal et le Soudan français et qui aurait mis un terme à l'enclavement de ce dernier. Ce fut un échec et en 1960, chaque territoire accéda séparément à l'indépendance.
Nous avons dit que les populations nomades nordistes, Touareg, Maures, Arabes, mais aussi dans une large mesure Peuls, furent esclavagistes et qu’elles puisèrent dans le «vivier humain» sudiste du Bilad al Sudan, le «pays des Noirs», notamment chez les Bambara, les Soninké et les Malinké du sud Mali. Comme ces derniers n’avaient pas oublié leurs souffrances passées, dès l’indépendance, devenus les maîtres d’un Etat rassemblant esclavagistes et victimes, ils se vengèrent sur les Touareg, lesquels, en réaction, se soulevèrent à maintes reprises.
Sur ce terreau propice prospérèrent ensuite les trafiquants de toutes sortes, puis les islamistes chassés d'Algérie à la fin de la décennie noire des années 1990 et qui se créèrent un sanctuaire dans le nord du Mali. Quant au détonateur de la crise actuelle, ce fut la guerre de Libye qui le fournit avec le retour des Touareg de l'armée du colonel Kadhafi. Ces derniers fondèrent le MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad) et exigèrent l'indépendance de l'Azawad .
La solution n'est pas électorale
Or les Touareg ne peuplent pas tout le Sahara malien, mais seulement une partie. L’Azawad est en effet humainement composé de trois principaux ensembles à l’intérieur desquels les subdivisions sont nombreuses:
-les Touareg qui sont des Berbères vivent dans sa partie nord-est ;
-les Maures, Berbères arabisés ou descendants des tribus arabes hilaliennes (de Beni Hilal), vivent dans sa partie ouest, établissant un continuum ethno-politique avec les tribus de Mauritanie ;
-Les Songhaï, les Peuls et certains Touareg «tributaires», dont les Imghad, vivent dans la région du fleuve Niger.
Légitimés par le scrutin, les politiciens sudistes refusent de prendre véritablement en compte les revendications nordistes
La question du Mali ne sera pas réglée tant que trois grandes évidences n’auront pas été prises en compte:
1-Nous ne sommes pas face à une guerre de religion, mais en présence d’un conflit ethnique et même racial dont, avec opportunisme, les islamistes ont profité.
2-L'islamisme n'est que la surinfection d'une plaie ethno-raciale.
3- Il n'existe pas un mais trois Azawad, fracturés par de profondes divisions.
Ces trois points étant intégrés à la grille de lecture, la situation malienne peut être résumée en quatre points:
1- La solution n'est pas électorale. Les élections de l’été 2013 n'ont ainsi fait que confirmer l’ethno-mathématique nationale et, de plus, elles ont compliqué le problème politique car, légitimés par le scrutin, les politiciens sudistes refusent de prendre véritablement en compte les revendications nordistes.
2- Le MNLA est de plus en plus isolé et réduit à la fraction territoriale de la tribu Ifora,
3-Militairement, l'armée malienne étant incapable de s'imposer dans le nord, elle a sous-traité la guerre contre le MNLA à des groupes armés ethniques dont le Gatia (Groupe d'autodéfense touareg Imghad et alliés) dirigés par le colonel Ag Gamou. Or à travers le Gatia, les anciens tributaires Imghad prennent leur revanche sur les «nobles» touareg iforas pendant que les sédentaires songhai se vengent de plusieurs siècles de domination touareg. Ces milices ethniques incontrôlables par le gouvernement de Bamako commettent des exactions qui ne font qu'entretenir la haine. De plus, elles semblent avoir pris le contrôle des trafics, dont celui de la drogue et des migrants. Elles sont également en relation avec les djihadistes sahariens qui constituent le maillon septentrional de la chaîne mafieuse reliant le littoral sénégambien à la Méditerranée.
4-La menace terroriste persiste et tend même à se rallumer, notamment à Tombouctou et à Mopti. Or l'ennemi invisible que pourchasse le contingent français Barkhane ne pourra pas être détruit sans un quadrillage territorial impossible à réaliser sans l'appui des Touareg. Cependant, toute politique d'alliance avec ces derniers est refusée par Bamako qui y voit un encouragement donné aux séparatistes.
Seule une solution fondée sur le réel, à savoir la séparation des belligérants dans un cadre à définir, fédéral, confédéral ou autre, pourrait être susceptible de ramener la paix. Mais les autorités de Bamako continuent de rêver à un Mali «unitaire». Quant à l’Algérie, elle refuse toute solution confédérale de peur de rallumer les revendications de ses propres Touareg.
Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.