En répondant aux tirs de missiles américains et britanniques, par un tir de missile balistique de moyenne portée, la Russie laisse une dernière chance à ces pays, avant un affrontement d’une tout autre ampleur. Selon Karine Bechet-Golovko, Moscou a atteint le seuil de sa patience diplomatique, les Atlantistes ont atteint le seuil de leur impunité.
Il est important de rappeler l’enchaînement des derniers événements, pour tenter de saisir ce qu’il peut en sortir. Pour tenter de comprendre si les pays de l’Axe atlantiste peuvent finir par sortir de la bulle de l’éternelle adolescence, dans laquelle les autres sont toujours – et par principe – responsables de ses propres erreurs, qui ne doivent entraîner aucune responsabilité et conduire, au contraire, l’environnement à s’adapter pour en tenir compte. Si ce comportement est simplement exaspérant chez les adolescents, il devient extrêmement dangereux chez les élites dirigeantes.
Dans la nuit du 18 au 19 novembre, l’Axe atlantiste a passé une étape, non pas quantitative mais qualitative, en lançant 6 missiles américains ATACMS contre la région de Briansk. Le ministère russe de la Défense a annoncé que 5 d’entre eux avaient été détruits, et un endommagé. L’incendie, qui en a suivi a été maîtrisé et il n’y a pas eu de victimes.
Le changement ne consiste pas en le fait que ces missiles aient été lancés contre des territoires russes, selon le droit russe, puisque la Crimée et les nouveaux territoires ont déjà été visés. Non, le cran supplémentaire consiste en ce que les Atlantistes ont lancé des missiles contre un territoire, qu’ils considèrent eux aussi comme russe.
Le 19 novembre, pour les 1 000 jours de l’Opération militaire et suite à l’intensification du conflit, le président russe signe l’oukase portant la Doctrine nucléaire de la Fédération de Russie. Si elle reste par principe défensive, le recours à l’arme nucléaire est élargi, pour tenir compte des nouveaux dangers potentiels à la souveraineté et à l’intégrité territoriale du pays. L’on notera en particulier l’intégration de la protection de la Biélorussie et la prise en compte de l’appartenance à une coalition, dans laquelle se trouvent des puissances nucléaires, pour envisager une réponse nucléaire.
La réaction américaine immédiate fut d’en minimiser l’effet politique, déclarant que la modification de la Doctrine nucléaire était attendue, et que de plus rien ne prouvait que la Russie envisageait d’utiliser les armes nucléaires en Ukraine. Borrell a ajouté de son côté qu’il ne voyait pas de risques de confrontation avec les armées européennes.
Donc, ils continuent. Et des missiles Storm Shadow sont tirés contre la région de Koursk le 20 novembre. Dans la foulée, Thomas Buchanan, représentant du Commandement stratégique du Pentagone, déclare que les États-Unis envisagent la possibilité d’un échange de frappes nucléaires dans «des conditions acceptables» pour eux. Ces «conditions» ne sont pas précisées, mais la frontière du possible est déplacée. Le recours à l’arme nucléaire n’est pas un tabou. Il est vrai, qu’il ne l’a jamais été pour les États-Unis, qui sont le seul pays à l’avoir utilisée.
Ainsi, le 21 novembre, la Russie décide d’un tir en conditions réelles de son nouveau missile balistique de moyenne portée Orechnik (Noisetier) sur une usine militaire dans la ville de Dniepropetrovsk. Sans tête nucléaire. Dans la journée, le tir n’est pas commenté. Les publications s’emballent, entre ceux affirmant que cela n’a pas eu lieu, et ceux le félicitant.
Le soir, dans une adresse à la population, le président Poutine prend la parole. Le ton est solennel. Chacun comprend, que l’on se trouve à un pas et demi d’une confrontation directe entre l’OTAN et la Russie. Les tirs des missiles ATACMS et Storm Shadow ont provoqué l’escalade du conflit :
À partir de ce moment, comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, le conflit régional en Ukraine provoqué par l’Occident a acquis des éléments de nature mondiale.
Un conflit de nature mondiale, c’est une nouvelle guerre mondiale. Une guerre lancée par les Atlantistes contre la Russie pour préserver leur domination. Pour garantir leur mode de gouvernance global.
Comme nous le voyons, la globalisation, c’est la guerre. Car ce système ne laisse de place à aucune alternative politique. Sinon, il n’est plus global.
Et le président russe de préciser justement les enjeux. Les États-Unis sont sortis unilatéralement en 2019 du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, qui avait été signé en 1987 par les États-Unis et l’URSS afin notamment de protéger l’Europe. Depuis, la production américaine a repris et la Russie a donc repris elle-aussi le développement de ces missiles. Le missile Orechnik en est le résultat. Par ailleurs, les États-Unis étudient la question du transfert de leurs missiles en Europe et lors des exercices conjoints, se préparent à leur utilisation. Poutine alors de rappeler :
Permettez-moi de vous rappeler que la Russie s'est volontairement et unilatéralement engagée à ne pas déployer de missiles à portée intermédiaire et courte tant que des armes américaines de ce type n'apparaîtraient dans aucune région du monde.
L’équilibre ayant été rompu par l’expansionnisme américain, la Russie envisage le redéploiement de ses missiles. Les pays européens devraient réfléchir : ils deviennent des cibles directes, dès qu’ils accueillent les missiles américains, et de toute manière se trouvent entre les deux partis. L’Europe ayant disparu comme sujet, elle est réduite à un simple satellite. Ce qui est en général, la pire position possible : celle de celui, qui assume toutes les conséquences de décisions, qu’il ne maîtrise pas.
Poutine le précise clairement :
La question du déploiement ultérieur de missiles à moyenne et courte portée sera décidée par nous en fonction des actions des États-Unis et de leurs satellites.
Nous déterminerons les cibles à détruire lors des tests ultérieurs de nos nouveaux systèmes de missiles, en fonction des menaces contre la sécurité de la Fédération de Russie. Nous considérons, que nous avons le droit d'utiliser nos armes contre des cibles militaires des pays, qui autorisent l'utilisation de leurs armes contre nos cibles, et en cas d'escalade des actions agressives, nous réagirons de manière tout aussi décisive et réciproque. Je recommande aux élites dirigeantes des pays qui envisagent d’utiliser leurs contingents militaires contre la Russie d’y réfléchir sérieusement.
La Russie vient de mettre un terme à sa politique des réponses asymétriques, puisque leur capacité de dissuasion n’a pas été prouvée. Et la nouvelle Doctrine nucléaire donne des possibilités élargies de réactions, auxquelles les pays européens ne sont objectivement pas en mesure de répondre. Sans même parler des populations.
Jusqu’à présent, les élites atlantistes n’ont pas pris au sérieux les élites russes. Elles les ont trompées à Minsk et s’en sont vanté, elles les ont trompées (plus discrètement) à Istanbul à plusieurs reprises. Les Atlantistes estiment que, quoi qu’ils fassent, la Russie ne réagira pas réellement, qu’il suffira de siffler pour qu’elle revienne s’asseoir à la table des négociations. Ils furent surpris de voir la Russie réagir en février 2022. Et il semble, qu’ils n’arrivent pas à sortir de cette prison mentale, en tout cas si l’on en croit les déclarations des premiers de cordée, suite au tir de missile balistique russe.
Nous avons eu droit à une déclaration commune de la France et de la Grande-Bretagne, puisqu’elles sont en première ligne pour devenir des cibles. Comme l’a rappelé Poutine, leurs missiles ne peuvent être utilisés sans implication des forces de ces pays. Le cri du coq a donc pu retentir dans le smog médiatique :
La France et le Royaume-Uni ne le laisseront pas parvenir à ses fins. Avec nos alliés, nous déploierons tous les efforts nécessaires afin de mettre l'Ukraine dans la meilleure position possible pour obtenir une paix juste et durable.
Traduction : la France et la Grande-Bretagne, en parfait satellites atlantistes qu’ils sont désormais, ne comptent pas empêcher l’escalade du conflit. Bien au contraire, ces pays y travaillent largement, comme leur maître l’exige. Côté organes atlantistes de direction, la ligne reste évidemment la même. Farah Dakhlallah, porte-parole de l'OTAN :
Un porte-parole de l'OTAN a déclaré que le missile n'affecterait pas le cours de la guerre ni le soutien de l'alliance occidentale à Kiev.
Ainsi, si les médias occidentaux soulignent à l’unanimité, que le signal lancé par la Russie est passé, il semble que l’attitude des décideurs atlantistes reste rigide. Pourtant, en période de guerre, il est important de ne pas confondre le niveau du discours avec celui de la décision politique. Pour la paix et la sécurité de l’Europe, il reste à espérer que les ardeurs des va-t-en-guerre atlantistes aient été refroidies par l’ombre grandissante du Noisetier. Les grands cris étaient attendus, cela fait justement partie de la propagande, il faut montrer ses muscles, rester ferme, ne pas céder.
Mais espérons que les élites atlantistes prendront le temps de la réflexion : la Russie a atteint le seuil de sa patience diplomatique, les Atlantistes ont atteint le seuil de leur impunité. Toute autre action agressive contre la Russie risque de faire basculer un conflit régional vers une guerre mondiale. Si les Atlantistes en ont peut-être besoin, dans une poussée fanatique devant entraîner le monde à leur suite dans la chute, les Européens, eux, devraient réfléchir en quoi cela les concerne.
Pourquoi devrions-nous payer le prix du fanatisme des élites atlantistes ? Cela n’est pas notre combat. Au minimum, parce que la Russie ne représente pas un danger pour notre sécurité nationale. À la différence de nos élites dirigeantes. Et que la guerre n’a pas été lancée par les Russie, mais par les Atlantistes en 2014.
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