Haut-Karabagh : Le Drian appelle à lever les «ambiguïtés» sur le rôle d'Ankara dans l'accord de paix
Si Ankara et Moscou se sont entendus pour que la Turquie participe à la mise en œuvre du cessez-le-feu entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie dans le Haut-Karabagh, Paris estime que les contours de cet accord sont flou et appelle à lever les «ambiguïtés».
Le ministre français de l'Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a appelé ce 17 novembre la Russie à lever les «ambiguïtés» entourant le cessez-le-feu conclu entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie dans la région contestée du Haut-Karabagh. Le rôle de la Turquie et le retrait des combattants étrangers déployés dans la région lors des affrontements qui ont duré six semaines sont les principales pierres d'achoppement pour la diplomatie française.
Le Drian assure que la France continuera à jouer un rôle dans le processus de paix du Haut-Karabagh
«Ce cessez-le-feu là était indispensable pour sauver des milliers de vie [...]. Mais il y a des ambiguïtés», a lancé le chef de la diplomatie française à l'Assemblée nationale. «Il faut lever les ambiguïtés sur les réfugiés, sur la délimitation du cessez-le-feu, sur la présence de la Turquie, sur le retour des combattants [étrangers], sur le début de la négociation sur le statut du Haut-Karabagh», a-t-il continué avant de préciser que ces points seraient abordés lors d'une réunion des coprésidents du groupe de médiateurs dit de Minsk (France, Russie et Etats-Unis) le 18 novembre à Moscou.
«Mais où donc est passé le groupe de Minsk censé trouver une solution pacifique au conflit ?», a lancé le député Les Républicains Guy Tessier, interpellant Jean-Yves Le Drian dans l'Hémicycle, en référence à la médiation de Paris et Washington dans ce dossier, au côté de Moscou, depuis la chute de l'URSS en 1991. Et d'affirmer : «Ce cessez-le-feu consacre la sortie des Occidentaux de tout processus diplomatique au Caucase.»
En réponse, le ministre des Affaires étrangères a rejeté toute passivité française dans ce dossier et assuré que Paris, via le groupe de Minsk, continuerait à jouer un rôle dans le processus de paix et la définition du statut futur du Haut-Karabagh. «Ces discussions ont déjà commencé, d'une part entre le président de la République [Emmanuel Macron] et le président [Vladimir] Poutine, d'autre part entre le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo et moi-même à Paris», a assuré le chef du Quai D'Orsay.
Mike Pompeo, qui a rencontré le 16 novembre à Paris Emmanuel Macron et son homologue français, a quant à lui dénoncé les «actions très agressives de la Turquie», notamment son «soutien» à l'Azerbaïdjan. Ankara est notamment accusé d'avoir soutenu Bakou en convoyant dans la zone de conflit des rebelles islamistes pro-turcs de Syrie.
Les soldats turcs de la paix ne seront pas déployés dans le Haut-Karabagh
Après avoir armé et soutenu l'Azerbaïdjan face à l'Arménie, Ankara est d'ores et déjà associée aux opérations de maintien de la paix via un accord signé avec Moscou, même si les contours de son rôle restent flous.
Le ministre turc de la Défense Hulusi Akar, cité par le quotidien turc Hürriyet Daily News, a fait savoir le 17 novembre que la Turquie s'est engagée dans des pourparlers avec la Russie pour la surveillance du cessez-le-feu entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie. Les ministres russe et turc de la Défense ont signé la semaine dernière un mémorandum soumettant la création d'un centre de surveillance conjoint en Azerbaïdjan, suite à plusieurs réunions tenues à partir du 13 novembre.
Ainsi, le gouvernement turc a soumis le 16 novembre une motion au Parlement national, lui demandant son approbation pour déployer des soldats de la paix dans le but de surveiller l'accord de cessez-le-feu. Si la motion était validée, le président turc Recep Tayyip Erdogan déterminerait ensuite le nombre des soldats de la paix à envoyer sur place. La motion devrait être débattue dans les prochains jours.
Par ailleurs, des responsables russes cités par Al Jazeera ont fait savoir que l'implication d'Ankara se limiterait au travail de surveillance sur le sol azerbaïdjanais et que les soldats de la paix turcs n'iraient pas dans la région du Haut-Karabagh.
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a quant à lui précisé que le centre de surveillance conjoint fonctionnerait à distance, en utilisant des drones et d'autres moyens technologiques pour surveiller d'éventuelles violations.
De son côté, l'Azerbaïdjan, qui juge le Groupe de Minsk trop pro-arménien, s'est félicité pour sa part de la «création d'un nouveau format de coopération avec la participation de la Russie et de la Turquie».
Accord de paix
Un accord de paix signé le 9 novembre entre Erevan et Bakou sous l'égide de Moscou a mis fin à près de sept semaines d'intenses combats au Haut-Karabagh, enclave montagneuse disputée depuis des décennies entre ces deux pays du Caucase.
Selon les termes de ce texte qui consacre la défaite de l'Arménie, l'Azerbaïdjan reconquiert près de trois quarts des territoires sous contrôle arménien depuis une première guerre au début des années 1990. L'Azerbaïdjan a notamment conquis la ville de Chouchi qui est pour Bakou une cité historiquement azerbaïdjanaise, se situant à une quinzaine de kilomètres de la capitale du Haut-Karabagh, Stepanakert, et sur la principale route reliant la république autoproclamée à l'Arménie, son principal soutien.
Des forces russes de maintien de la paix ont été déployées dans la zone de conflit pour s'assurer du maintien de la trêve. Près de 2 000 soldats russes doivent d'ailleurs être prochainement déployés dans tout le Haut-Karabagh, autour des anciennes lignes de front de Martakert (nord) et Martouni.
L'Arménie a reconnu le 14 novembre avoir perdu plus de 2 300 soldats dans le conflit. «A l'heure actuelle, les corps de 2 317 militaires tués, parmi lesquels des corps non identifiés, ont été pris en charge par le service d'examen médico-légal», a fait savoir sur Facebook la porte-parole du ministère arménien de la Santé, Alina Nikoghosian.
L'Azerbaïdjan, pour sa part, ne communique pas ses pertes militaires, rapportant simplement 93 civils tués par les bombardements arméniens. Le président russe Vladimir Poutine, qui fait office d'arbitre dans la région, avait affirmé le 13 novembre que les combats avaient fait plus de 4 000 victimes et 8 000 blessés, ainsi que des dizaines de milliers de réfugiés.