Option Nuit : un nouveau syndicat pour les policiers noctambules
Alors que la colère policière fait rage et qu'une frange de la société française interroge son rapport aux forces de l'ordre, une minorité apparemment oubliée de l'institution veut faire reconnaître la pénibilité de son métier : les «nuiteux».
En pleine crise d'identité de l'institution police, lors des rassemblements nocturnes et diurnes, une rumeur bruisse : un nouveau syndicat a vu le jour, qui propose aux fonctionnaires travailleurs de nuit de faire reconnaître la pénibilité de leur tâche.
Le nom même de cette nouvelle organisation fait référence à son fonctionnement : Option Nuit. Ainsi que l'explique son fondateur, William Maury, à RT France, les fonctionnaires désireux de rejoindre l'initiative sont cordialement invités à conserver leur étiquette syndicale précédente. Pour mémoire, il est considéré qu'environ 70% des policiers adhèrent à un syndicat, contre 5% dans le secteur privé.
Piétiner des boyaux sur la route parce que ma lampe de poche ne fonctionne pas, je sais ce que c'est. L'énarque, il ne sait pas
«L'idée, c'est d'avoir des ambassadeurs et pas des délégués, personne n'est détaché chez moi», détaille l'officier de police judiciaire travailleur de nuit à Montpellier, William Maury, qui dit avoir lancé cette initiative simplement parce qu'il en avait fait la promesse à un collègue actuellement en fin de carrière.
«Nous avons cinq ans d'espérance de vie en moins»
Rompu aux rouages parfois implacables de la machine syndicale et ne méconnaissant pas la concurrence souvent très rude que se livrent les organisations du secteur, le fondateur d'Option Nuit souligne : «Je ne suis pas là pour cracher sur les autres syndicats. Je conseille toujours aux collègues qui veulent nous rejoindre de rester dans leurs syndicats, c'est juste une option. Ensemble, nous allons nous battre pour les "nuiteux", revoir nos statuts de travailleurs de nuit et augmenter la prime de nuit.»
Le fonctionnaire militant rappelle que tous les métiers de nuit sont soumis aux mêmes contraintes, avec les mêmes effets délétères sur la santé : «Nous avons cinq ans d'espérance de vie en moins et des risques cardiovasculaires plus élevés, plus de cancers également... Dans le monde de la nuit, nous sommes tous logés à la même enseigne, que ce soit les infirmières ou les policiers.»
La nuit : terreau fertile de la colère policière
Les «nuiteux» étaient nombreux à rejoindre le mouvement des policiers en colère en 2016 et sont encore très motivés pour participer aux rassemblements policiers actuels au cours desquels les grandes organisations syndicales ont été instamment priées de se faire plus discrètes, voire absentes, selon une source policière. Les «nuiteux» en colère n'entendaient pas se faire récupérer par des partenaires sociaux en qui certains d'entre eux ont perdu la foi et qui ont préféré fonder des collectifs.
Les grandes enseignes des corps intermédiaires policiers ont bien compris l'enjeu du travailleur de nuit qui représente «10% à 12%» des effectifs de l'institution selon William Maury, qui précise : «Quand ils ont eu vent de mon initiative, les syndicats ont essayé de me couper l'herbe sous le pied en allant plus vite que moi.» Une compétition qui a poussé le fondateur d'Option Nuit à déposer les statuts syndicaux avant l'été, au lieu du mois de septembre et qui démontre, preuve supplémentaire s'il en fallait, que l'univers des syndicats de police est impitoyable.
Nous sommes tellement en sous-effectif que j'ai pris seulement six jours de congés depuis novembre
Mais selon le fondateur d'Option Nuit, le problème ne se situe pas tant dans les partenaires sociaux que dans l'administration en elle-même : «Il faudrait arrêter de mettre des énarques partout et il faut absolument que les conseillers spéciaux à Beauvau viennent de la base.»
Le policier de nuit livre une sensation très simple à assimiler pour illustrer son argument : «Piétiner des boyaux sur la route parce que ma lampe de poche ne fonctionne pas, je sais ce que c'est. L'énarque, il ne sait pas.»
Les grands oubliés de la police ?
Et dérouler le programme : «Nous ne voulons pas de la concurrence avec les autres syndicats, nous voulons pousser le dossier des travailleurs de nuit car la grogne est très audible depuis longtemps chez nous. Nous partons du principe que nous n'avons rien et qu'on ne peut donc rien nous retirer. Je demande 450 euros mensuels de prime de nuit défiscalisée pour les "nuiteux". Il faut recréer des vocations chez les collègues et c'est le prix de la pénibilité. Nous sommes tellement en sous-effectif que j'ai pris seulement six jours de congés depuis novembre 2019. J'ai laissé Noël à mes collègues pour qu'ils voient leurs gosses.»
«Mal structurel» contre métier passion, William Maury interpelle le ministre de tutelle : «Il y a un mal structurel dans cette institution, c'est clair : personne ne veut bosser avec nous, nous avons une vie décalée. Et les gars, je le vois bien, ils ne viennent pas pour gagner de l'argent dans nos services. Christophe Castaner ne cesse de dire qu'il aime sa police, alors qu'il nous le montre en faisant un geste pour ce travail qui est le plus pénible de l'institution. Après la crise du Covid, l'administration a fait un geste pour les policiers sur le manque à gagner pour les repas, les travailleurs diurnes ont été remboursés de 17 euros par jour... Quand les "nuiteux" ont demandé pareil, on nous a répondu sur le ton de la blague "non mais c'est bon, vous, la nuit, vous mangez des kebabs."»
Antoine Boitel